Si je vous affirme que le fait que les talons poussent plus vite que la pince chez le cheval cheval fourbu est faux, certains d’entre vous me croiront sur parole, tandis que d’autres me diront que cette affirmation est ridicule : c’est un fait avéré qui se voit à l’oeil nu !
Alors qu'est-ce qui fait dire que les talons poussent plus vite que la pince chez le cheval fourbu ?
Ici il s’agit de l’antérieur gauche de Gaufrette un mois après son arrivée chez moi. Je venais d’effectuer le deuxième parage. J’ai choisi cette image car elle nous donne un très bon repère visuel : il y a une énorme ligne de stress sur le tiers supérieur du pied. Au même niveau, on peut voir la sortie d’un vieil abcès. Ce type d’abcès perce en couronne, il est donc refermé depuis quelques mois : il va descendre au fur-et-à-mesure de la repousse et finira par s’évacuer par le bas. La photo au sommet de l’article date de son arrivée, je venais de lui faire son premier parage.
Le point intéressant par rapport à cette ligne de stress est qu’elle n’est pas du tout parallèle à la couronne. C’est un signe typique de fourbure chronique sur le pied.
Chez un cheval sain, les lignes de stress sont un phénomène assez fréquent. Mais si P3 est à sa place, elles restent toujours parfaitement parallèles à la couronne. Or ici on peut voir que cette ligne est presque une fois et demi plus espacée à l’arrière du pied qu’au niveau de la pince.
Alors oui, vu comme ça, les talons poussent plus vite que la pince, ça se voit à l’oeil nu. Pourtant, si je continue à affirmer que c’est faux, cela signifie-t-il que je suis complètement butée et que je refuse d’avoir tord ?
Voici pourtant un contre-exemple
Revoici les pieds d’Utopia. La première photos a été prise presque 3 mois après la crise, et la seconde encore 3 mois plus tard (26/06 et 08/10). Chez elle aussi cette déformation s’est rapidement mise en place, mais comme vous pouvez le voir, j’ai rapidement enrayé le phénomène. Et il n’y a rien de magique là-dedans, il a suffit de mettre en place des parages adaptés.
Et revoici Gaufrette à 3 mois et demi de parage : chez elle aussi ce phénomène était en train de s’inverser : vous pouvez observer que les lignes de stress sont redevenues presque parallèle à la couronne. Et il y a même une rupture dans l’angle de pousse. Si vous voulez voir l’évolution complète de ce pied et de ces fameuses lignes de stress, j’ai un diaporama de photos de son arrivée à la fin de sa réhabilitation sur la page d’accueil du site (cliquer ici).
Pour Utopia comme pour Gaufrette, la mise en place d’un parage de réhabilitation a permis de renverser le phénomène : les talons ont retrouvé un proportion normale par rapport à la pince.
Comment cela s'explique-t-il ?
Je pourrais vous dire que je suis douée, que j’ai une technique secrète magique…mais non. En réalité il y a deux phénomènes à l’intérieur du pied qui expliquent cette déformation globale (et du coup sa réhabilitation). Et ces deux phénomènes sont dus à la même chose : la pression au niveau de la couronne.
Je vous conseille de lire mon article « La paroi a-t-elle réellement une fonction porteuse ? » pour mieux appréhender ce que je vais vous expliquer de manière globale. Dit comme ça, ça peut paraître un peu hors sujet, mais quand on a compris comment les différentes structures du pied s’imbriquent entre elles, tout devient plus clair. Je ne vais reprendre ici que la partie qui m’intéresse pour cet exposé : la couronne…et son lien avec la fourbure.
La couronne, lorsqu’on dissèque un pied, ça ressemble à ça ! C’est un espèce de gros élastique…avec une très faible élasticité. Et surtout, cet élastique est directement rattaché au coussinet digital. Et le point le plus capital pour notre cheval fourbu, c’est que l’extrémité du coussinet digital est directement attachée sous P3 !
Tout est interconnecté dans le pied du cheval, chaque structure a sa raison d’être et permet un fonctionnement optimal du pied…quand le pied va bien. Quand le cheval est fourbu, c’est une autre histoire.
Lorsque P3 bascule ou qu’elle s’effondre dans le pied, elle entraîne le coussinet digital avec elle. Et comme le coussinet digital est relié des deux côtés à la bande coronaire, si P3 bouge, cela entraîne une compression au niveau de la couronne. C’est ce qui explique la ligne de stress qui marque généralement la crise.
Les conséquences sur l'avant du pied
Avant de commencer mon explication, je voudrais remercier Duchy Farrier qui m’a autorisée à utiliser cette photo. Vous pouvez voir l’ensemble des autres photos de ce pied en cliquant ICI (sur le lien de sa page Facebook).
Ici on peut observer le pied en coupe d’un cheval qui a fait une fourbure récente : outre l’impressionnante bascule et les tissus qui se sont créés pour combler le vide, le point intéressant ici est l’aspect de la paroi au niveau de la pince. Le cheval a eu un parage pariétal, mais ce n’est pas non plus ça qui m’intéresse : ce qui m’intéresse, c’est la déformation de la paroi au niveau de la couronne.
Comme la couronne est tirée vers l’arrière à cause de la bascule de P3, la paroi n’a plus le bon angle de pousse, elle se met alors à pousser en zig zag. L’équipe du Pr Pollitt a étudié ce phénomène et il s’avère (mesures à l’appui) que la paroi ne pousse pas moins vite : elle se plisse juste au fur-et-à-mesure que la nouvelle pousse apparaît.
En clair, l’avant du pied semble pousser MOINS vite que sa croissance réelle, mais c’est une illusion.
Les conséquences sur l'arrière du pied
Revoici le même antérieur de Gaufrette. Cette fois-ci, la première photo date de son arrivée, juste avant son premier parage. La deuxième a aussi été prise avant parage, exactement deux mois plus tard. J’allais donc entamer mon quatrième parage, à la fréquence d’un parage toutes les 3 semaines.
Je vous laisse comparer l’évolution au niveau des talons, mais aussi réfléchir sur ce qui a bien pu se passer…à l’intérieur du pied. Comme je l’ai dit, seulement deux mois se sont écoulés sur la deuxième photo, de plus nous sommes à 3 semaines de parage (les pieds sont donc bons à parer). Pourtant on a déjà une évolution notable.
Un point important à mentionner est que sur ce pied, je n’ai jamais cherché à corriger cet « évasement » d’une quelconque manière : ce que vous voyez est l’évolution naturelle du pied.
Observons les structures externes du pied avant le début de la réhabilitation :
En jaune sur le schéma : si vous observez la paroi de part et d’autre du pied, vous pouvez voir qu’elle n’est pas rectiligne. Il y a un changement dans l’angle de pousse au niveau du tiers supérieur. Contrairement à ce qui se passe au niveau de la pince lors d’une réhabilitation, ce changement d’angle n’est pas bon signe : il est l’indicateur de pressions anormales à l’arrière du pied.
En rouge : ces pressions anormales se font à cause de la couronne qui est tractée vers l’arrière et vers le bas, plus précisément en direction de l’apex de la fourchette (directement sous P3).
Le cercle vert : on ne le voit pas bien ici, mais les glomes sont tellement serrées que l’arrière du pied est comme pincé. Il s’est formé une fente jusqu’au dessus de la ligne de poils. Si vous revenez sur la seconde photo, après 9 semaines, les glomes ont changé de forme au niveau de la ligne de poils : elles sont en train de s’écarter et de reprendre leur place naturelle.
Chez un cheval sain, dans un cas similaire, on parlera de talons contractés. On cherchera alors à ouvrir les talons par le parage. Mais chez le cheval fourbu, nous venons de voir que le phénomène va bien au delà, et qu’il est lié à la place qu’à pris P3 dans le pied. Vous pouvez tenter d’ouvrir le pied en modifiant les talons de la manière que vous voudrez, ça ne décontractera pas les glomes et l’arrière du pied. D’ailleurs dans le cas de Gaufrette, on voit bien que les talons étaient déjà « ouverts », les ouvrir plus par le parage n’aurait fait que la mettre encore plus dans l’inconfort.
En quelques semaines, la paroi est redevenue rectiligne, signe que la couronne a cessé de comprimer l’arrière du pied. A ce stade bien entendu la fourbure est encore loin d’être guérie, mais le pied est en excellente voie de réhabilitation.
Pour résumer ce qui se passe au niveau des talons, comme l’arrière du pied est comprimé, les cartilages se retrouvent en quelque sorte écrasés et se redressent légèrement. On a alors un arrière pied qui est plus serré et qui semble alors plus « haut » qu’il ne devrait l’être. En clair, l’arrière du pied semble pousser PLUS vite…ce qui est AUSSI une illusion.
Pourquoi une telle différence entre l'avant et l'arrière du pied chez un cheval fourbu ?
Cette question est légitime puisque la cause est la même : la compression de la couronne vers l’arrière et vers le bas.
Cette différence d’aspect de la repousse de la paroi tient à deux choses :
- la place de P3 et des autres structures internes,
- la rigidité relative de ces structures les unes par rapport aux autres.
Sur le tiers avant du pied, la paroi pousse le long de P3. Donc lorsque la couronne exerce une pression vers l’arrière, les structures internes ne bougent pas : P3 est un os, il est donc particulièrement rigide et ne va pas s’écraser. Ce sont donc les structures externes (en l’occurrence la paroi) qui vont se déformer pour s’adapter à la nouvelle position de la couronne.
A l’inverse, les structures internes de l’arrière du pied sont beaucoup plus souples et malléables que la paroi. Elles vont donc s’adapter en se remodelant très rapidement. La paroi peut donc continuer à pousser de manière beaucoup plus linéaire.
Pour conclure
Un pied déformé par la fourbure n’est pas une fatalité. On peut me reprocher de vouloir à tout prix donner de l’espoir là où il n’y en a pas, mais j’ai vu des cas à priori irrécupérables…très bien récupérer. Je l’ai déjà dit et je le répète, ici il n’est pas question de refaire fabriquer son os à un cheval qui a perdu la moitié de P3. Mais ce n’est pas parce que la fourbure est déjà bien avancée (voir même que le cheval a perdu la moitié de P3 !) qu’on ne peut rien faire. Le pied du cheval est une structure vivante qui évolue aussi bien dans un sens que dans l’autre. Partir du principe « cheval fourbu, cheval foutu », c’est condamner le cheval. L’espoir sauve…parce que l’espoir pousse à chercher des solutions et à les mettre en oeuvre. Quand on y croit, on essaie. Quand on n’y croit pas, ou qu’on n’y croit plus, on abandonne. Et là le choix est simple : c’est l’euthanasie ou la souffrance perpétuelle pour le cheval (mais aussi pour son propriétaire qui le voit souffrir de plus en plus).
Et au risque d’encore me répéter, quand on vous dit « fourbu un jour, fourbu toujours », ne baissez surtout pas les bras et continuez de chercher. Mais, un petit conseil en passant : cherchez ailleurs.
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