Attention, ceci est un article de vulgarisation. Certaines notions ont été simplifiées afin de permettre une meilleure compréhension à tous.
On m’a récemment demandé si j’avais en ma possession un document expliquant de manière simple et scientifique ce qu’étaient les fourbures sub-cliniques. Là où le problème se pose, c’est que chaque professionnel utilise des mots qui lui sont propres autour de la fourbure. Par exemple, dans le cas de la fourbure sub-clinique, pour beaucoup de professionnels ce ne serait en réalité qu’une vue de l’esprit : elle n’existerait tout simplement pas. Pourtant, non seulement ça existe, mais c’est quelque chose d’assez facilement repérable au niveau du pied. Ce phénomène, je le nomme élastose (ce terme n’est pas de moi).
Mais commençons par le commencement : la fourbure c’est quoi finalement ?
C’est une « perte de l’intégrité de l’appareil suspenseur de la phalange distale (SADP) », ni plus ni moins. Encore une fois, cette formulation n’est pas de moi (elle est de Chris Pollitt), mais c’est la meilleure que j’ai trouvé.
La SADP c'est quoi
Ce n’est ni plus ni moins que la jonction entre les lamelles podophyles et les lamelles kéraphyles : le « scratch » qui maintient la paroi solidement arrimée à P3.
Quand on a compris la fourbure, on ne peut donc plus renier la suspension de P3 dans le pied par le SADP : quand cette suspention lâche, P3 bascule ou s’effondre littéralement.
Cela veut-il dire que la paroi doive être laissée porteuse lors du parage ? Absolument pas, du moins en ce qui concerne la paroi externe. J’ai expliqué mon point de vue sur la sujet dans mon article « la paroi a-t-elle réellement une fonction porteuse ». Mais mon avis personnel reste que OUI, la phalange est littéralement suspendue dans le pied. Sur un cheval qui n’a aucun évasement, plusieurs semaines après parage, on peut parfois avoir plusieurs centimètres d’avalure sans pour autant que P3 ne s’effondre d’un millimètre : pour cela, il faut cependant une parfaite intégrité de la SADP.
Sur cette photo, un pied de Tristam photographié bien après la réhabilitation de sa fourbure (pour rappel, sur ce pied il y avait 17° de bascule et un bel effondrement distal). Sur cette photo, aucun doute possible : non seulement P3 a retrouvé sa place physiologique dans le pied, mais la SADP a parfaitement récupéré son intégrité. Entre deux parages trop espacés, seule la paroi est restée porteuse durant quelques temps…et RIEN n’est arrivé car la SAPD assurait parfaitement sa fonction de suspension de P3. Si ça n’avait pas été le cas, la phalange se serait effondrée d’un bon centimètre dans le pied et Tristam aurait été à nouveau fourbu.
L'élastose c'est quoi ?
A ma connaissance, le terme d’ « élastose digitale équine » a été développé par KC Lapierre, un maréchal ferrant américain qui a développé sa propre méthode de parage pour les chevaux pieds nus. L’élastose est un mot qui n’existe pas réellement de manière officielle. Je vais donc me contenter ici de vous donner ma définition personnelle.
Le suffixe « ose » signifie littéralement « perte ». Et le terme « digital » vient du mot « doigt ». Chez le cheval, le doigt n’est autre que son pied (ou son sabot pour faire plus simple). L’élastose digitale est donc une perte d’élasticité dans le sabot. Perte de d’élasticité de quelle partie me direz-vous ? De toutes ? Et bien non. Il s’agit d’une perte d’élasticité au niveau de la suspention de P3. Et UNIQUEMENT à ce niveau là. Malheureusement, ce phénomène aura des répercutions sur TOUTES les autres structures du pied.
Ce qui se passe concrètement, c’est que lorsqu’un cheval a trop d’insuline dans le sang (cheval SME, cushing ou tout simplement trop ou mal nourri), les lamelles vont s’épaissir dans le pied, telles de la pâte à gâteau qu’on mettrait au four…et qui se met à gonfler. Ceci n’est pas une vue de l’esprit mais un phénomène démontré scientifiquement par le Pr Pollitt puis par d’autres chercheurs par la suite.
Si ce phénomène n’est pas endigué, vous pouvez vous retrouver avec un cheval gravement fourbu…sans même vous en rendre compte ! Arrivé à 17° de bascule, Tristam n’avait pourtant pas fait de crise aiguë par exemple.
Heureusement, avant d’en arriver là, il y a des signes d’alerte sur les pieds. Je tiens tout de même à signaler ici que si ces signes sont apparents, c’est que le phénomène est en place depuis un certain temps déjà.
Ici, vous pouvez observer un pied typique d’un cheval SME souffrant d’élastose :
- Ligne blanche épaissie sur TOUT le tour du pied, d’un talon à l’autre (à ne pas confondre avec des évasements ou un pied « juste » trop long)
- En vue solaire, le pied semble évasé de partout (ce qui n’est pas forcément le cas quand on observe les autres vues)
- Sole aplatie, de forme anormale
- Perte de concavité autour de l’apex et apex qui peut sembler « sortir du pied » et avoir besoin d’être taillée lors des parages
- Barres souvent aplaties aussi (mais les barres aplaties ne sont pas en soit un signe d’élastose, elles peuvent simplement faire parti du tableau clinique, ou être le signe d’une toute autre problématique).
Quelles sont les conséquences de l'élastose ?
Les conséquences seront d’abord d’avoir un cheval qui sera nettement plus sensible des pieds lors des périodes d’abondance alimentaire. Comme les pieds perdent de leur concavité, la sole sera plus vite en contact avec le sol, augmentant les risques de bleimes. De plus, le mécanisme du pied (P3 qui monte et descend lors de la charge/décharge du membre) sera fortement limité par ce même manque de concavité. Cela va donc impacter aussi la micro-circulation locale.
Enfin, P3 étant plus basse dans le pied qu’elle ne le devrait, on peut souvent observer de petits hématomes en arrière de la ligne blanche, signe, non pas d’une crise, mais de pressions anormales sous le bord de P3, directement à l’avant du pied. Encore une fois, ce n’est généralement pas un problème de parage, mais un problème de suspension…et donc de perte d’intégrité de la SADP. Le cheval est en « pré-» fourbure. Heureusement, la plupart du temps, cela restera à ce stade et reviendra à la normale lorsque le cheval sera à nouveau alimenté en foin en hiver.
Mais parfois, un parage trop court, une mise au travail, une galopade au pré ou encore un pic d’insuline ou un simple petit changement alimentaire peuvent faire tout basculer et mettre à terre un cheval qui semblait jusque-là n’avoir pas d’autres problèmes qu’un excès de rondeurs…« pas si grave que ça ».
Y a-t-il une solution ?
Comme je l’ai dit, la cause est un excès d’insuline. La solution sera donc…de faire baisser les taux d’insuline. Il n’y a PAS d’autre solution.
Le parage n’est PAS une solution : l’élastose est liée UNIQUEMENT à un problème métabolique. Bien entendu, il faudra parer correctement et régulièrement le cheval, c’est primordial, mais ça ne réglera pas le problème.
D’ailleurs, même si ce que je vais écrire peut paraître étonnant au premier abord, faire un « beau » parage peut parfois déclencher des crises chez ces chevaux là. Faire un roll ou un biseau que l’on fera démarrer directement à la ligne blanche peut être très douloureux pour eux.
Je ne l’ai pas assez écrit dans ces articles, mais chaque pied nécessite un parage particulier. Bien-sûr la base de parage sera la même, mais chacun des gestes devra être effectué avec plus ou moins d’intensité selon la problématique particulière à chacun.
Sur cette dernière photo, le même pied de Tristam, en fin de réhabilitation et après un parage. Si c’est la mise en place d’un protocole strict au niveau du parage qui a permis de récupérer la bascule et la descente distale, c’est la gestion de son SME qui a permis de récuperer des pieds sans élastose, avec une ligne blanche qui s’est petit à petit resserrée sur tout le tour du pied.