Une question qui revient toujours
Voici une phrase qui revient quasi systématiquement au bout de quelques mois lorsque j’accompagne un propriétaire qui pare lui-même son cheval fourbu :
« Catherine, je ne sais pas ce qui s’est passé, mais les pieds de mon cheval sont devenus affreux, c’est pire qu’avant, c’est la catastrophe. Je ne comprends pas ce que j’ai fait de mal au dernier parage… » Pleurs, larmes, gémissements de désespoir… Ok, j’abuse complètement, personne ne pleure. Je plaisante de cela car, si ça parait alarmant pour le propriétaire, pour moi c’est extrêmement habituel. Et surtout, c’est généralement TRES bon signe !
C’est pourquoi je donne à chaque fois la même réponse : « Tes pieds sont affreux ? Génial, c’est bon signe, c’est la phase moche ! »
Bon, bien entendu avant de répondre ça, je vérifie qu’il s’agit bien de cette fameuse phase moche. Mais si le parage précédent était bon (et il l’était puisque nous l’avons validé ensemble), c’est qu’on arrive dans cette phase que j’adore et qui est la plus gratifiante pour moi : la phase moche.
Alors oui, j’ai totalement inventé ce terme, il n’existe pas officiellement, mais il a le mérite d’être explicite. Et drôle.
Qui a-t-il de commun entre ces différentes photos ?
Tout d’abord ces 4 pieds sont fourbus chroniques.
Ensuite, ces photos ont toutes été prises alors que la réhabilitation était déjà avancée.
Dans ces quatre cas, les pieds partent en babouche. Ce qu’il faut observer, c’est que le haut de la paroi n’a pas du tout le même angle de pousse que le bas du pied. Or si la babouche est fréquente, elle n’est pas systématique chez les chevaux fourbu. Certains ont en effet une paroi en pince étonnement droite…et une ligne blanche extrêmement étirée. C’est souvent le cas chez les chevaux qui ont un excès chronique d’insuline.
Pour comprendre la phase moche, il faut savoir qu’à un certain stade de la réhabilitation, ce phénomène de babouche s’amplifie…et que c’est totalement normal : cela signifie que la nouvelle pousse se fait plus près de P3 !
Attention, si ce phénomène s’amplifie alors que vous n’avez pas mis en place une réhabilitation des pieds, il se peut que la fourbure soit en train de s’aggraver. Donc en cas de doute, appelez le vétérinaire et refaites des radios. La radio est le seul moyen totalement objectif pour savoir ce qui se passe à l’intérieur du pied.
Mais si l’on est bien dans la phase moche, est-ce que cela veut dire que la nouvelle pousse est forcément à 100% à sa place ? Hélas on ne peut pas de dire de manière formelle. Il y a cependant un petit détail qui permet de présumer de ce à quoi va ressembler la radio. Ce « détail », c’est la rectitude de la nouvelle pousse. Plus elle est droite, plus on peut affirmer qu’elle se refait le long de P3. Et encore une fois, pour en être sûr, rien de tel qu’une radio.
Vous passer de radios est VRAIMENT la pire économie que vous puissiez faire, surtout si vous parez vous-même.
Mais pourquoi est-ce que j'aime tellement arriver à la phase moche ?
Tout simplement parce qu’elle est le premier signe vraiment visible de la réhabilitation du pied. En clair, ça signifie que j’ai bien fait mon travail d’accompagnement et, que de votre côté, à partir de maintenant, vous êtes autonome (ou presque).
Cela signifie aussi que nous avons réussi à décomprimer la couronne et que la circulation sanguine va nettement s’améliorer à l’intérieur du pied. Pour mieux comprendre cela, vous pouvez lire mes articles :
- La paroi a-t-elle vraiment une fonction porteuse,
- Pourquoi les talons semblent pousser plus vite que le pince chez le cheval fourbu.
A ce stade, si les parages sont continués de la même manière que ce qui a été fait jusque là, mes interventions ne sont plus vraiment nécessaires. Je vais toujours pouvoir valider les parages et vous donner de petits trucs pour vous faciliter la vie, mais le pied va bien, ou en tout cas il va de mieux en mieux. Cela signifie qu’il recommence à fonctionner normalement A L’INTERIEUR, parce que vous avez réussi à le rééquilibrer en supprimant ce qu’il fallait et en ne touchant pas à ce qui devait rester en place. Ces deux facteurs sont aussi importants l’un que l’autre.
La phase moche est-elle systématique ?
Chez un cheval qui a été pris en charge tout de suite après la crise, la phase moche peut être discrète…ou différente.
Sur la première image ci-dessous, il s’agit de ma jument Utopia. Chez elle, la phase moche s’est plutôt traduite par une phase en accordéon, qui s’accentuait dès que la paroi était un peu longue et qui reprenait un meilleur aspect après parage. Si vous doutez de sa réhabilitation, ses pieds tels qu’ils sont aujourd’hui sont visibles au début de cet article. Si vous avez suivi son cas à l’époque, vous savez qu’elle a eu bascule et descente distale associées, et qu’elle ne m’a pas laissé parer ses pieds avant un mois entier. Soyons réalistes, un mois c’est beaucoup lorsqu’on voit son cheval souffrir, mais en terme de réhabilitation de la fourbure, ce n’est pas grand-chose si la suite est gérée correctement.
Sur la deuxième photo, il s’agit d’Impa, une jeune jument de 4 ans qui a fait une crise violente liée à l’herbe. Le parage a été mis en place très rapidement, tout au plus 15 jours après la crise. Tout comme Utopia, Impa a eu une bascule et une descente distale, accompagnées de belles poches de gaz. En clair, absolument tout avait lâché dans ses pieds et c’était extrêmement douloureux pour elle. Aujourd’hui, exactement un an plus tard, elle aussi est entièrement réhabilitée et elle vient de reprendre le travail (entendons-nous, vu son jeune âge, c’est plutôt une fin de débourrage).
Au moment de ces deux photos, nous en étions à 4 mois de réhabilitation pour chacune des deux juments : on peut voir la trace de la crise à 4cm environ en dessous de la couronne sur ces deux pieds.
Chez Utopia cela s’est traduit par de nombreux cercles et surtout un creux qui faisait tout le tour du pied (comme si on l’avait serré avec un fil à couper le beurre), tandis que chez Impa, il y avait une espèce de « marche » au milieu du pied. On appelle aussi cela un pied cerclé….et le seul cercle que l’on voit ici s’est créé un moment de la crise. Dans d’anciens livres on trouve cela comme « pied cerclé par pression du périople« .
Pourquoi les repousses peuvent-elle être si différentes d'un cas à l'autre ?
- D’abord parce que même sans être fourbu, chaque cheval a des pieds différents.
- Ensuite parce qu’à l’intérieur du pied, au moment de la crise, ça peut aussi se traduire de manière différente pour chaque cheval (et même pour chacun des quatre pieds d’un même cheval)
- Aussi parce que, même si la technique employée était à peu près la même, elle a été adaptée exactement à chaque pied. De plus, si c’est moi qui ai paré Utopia, je ne connais Impa que de manière virtuelle : c’est son propriétaire qui l’a parée avec l’aide de mes conseils.
- Enfin, parce que chaque cheval a une posture et une locomotion qui lui sont propres, l’évolution des structures internes sera très individuelle. Et comme les structures externes sont dépendantes des structures internes…vous voyez où je veux en venir.
- Le dernier point est aussi que la gestion environnementale a été totalement différente pour nos deux juments : Utopia est resté au paddock et a pu bouger comme elle le voulait. Tandis que pour Impa, vu les radios, il aurait été catastrophique de la laisser dehors. Elle est donc restée dans un immense boxe durant plusieurs semaines.
Pour résumer, si votre cheval est fourbu chronique de longue date, la phase moche va ressembler aux premières photos. Mais si la prise en charge est précoce et adaptée, l’aspect que va prendre le sabot sera relativement aléatoire d’un cheval à l’autre.
Enfin, s’il ne se passe strictement rien et que vous ne voyez pas les pieds évoluer, soit le parage n’est pas adapté, soit la cause de fond n’est pas réglée. C’est pour cette raison que je conseille systématiquement de faire des photos dès le premier jour de la réhabilitation : c’est un outil précieux qui permet de ne pas oublier à quoi ressemblaient les pieds avant, et surtout qui permettent de savoir de manière totalement objective s’il y a une évolution.