En soi, ce n’est pas totalement faux : un pied sain est un pied esthétique.
Mais cela veut-il pour autant dire qu’on doive absolument chercher l’esthétisme dans le parage ?
Laissez moi vous raconter une petite histoire
Il y a quelques mois, j’ai démarré le suivi d’un cheval fourbu. Comme à mon habitude, ce cheval étant situé loin de moi, ce suivi s’est fait par photos et en visio. C’est la propriétaire qui effectuait le parage car elle n’avait pas trouvé pas de professionnel qui avait su l’aider.
Si vous-même êtes un professionnel et que ce que je viens d’écrire vous a fait bondir, sachez que cette situation est hélas quelque chose d’assez fréquent. Le problème quand vous êtes dans cette situation et que votre cheval souffre, c’est que vous finissez par perdre totalement confiance dans la profession. Et vous ne pouvez pas, décemment, imposer à votre cheval d’essayer tous les professionnels de la région : si on accepte de laisser son cheval au même pro durant plusieurs mois pour voir si son travaille lui convient, une année est (très) vite passée. Pour un cheval qui n’a pas particulièrement de problèmes ce n’est pas un problème. Mais lorsque votre cheval est fourbu ou totalement boiteux, ça peut être une question de vie ou de mort (littéralement). Et dans le cas de cette personne, elle avait carrément été abandonnée par le dernier professionnel.
Pour en revenir au cheval de notre histoire, il était fourbu chronique et avait de gros problèmes de locomotion liés à ses pieds extrêmement sensibles. Au moment de notre rencontre, il ne pouvait se déplacer qu’avec des chaussures.
Sa propriétaire avait déjà suivi une formation en ligne (que je ne connaissais pas) et son formateur n’était pas très content de son travail. C’est en grande partie pour cette raison qu’elle est venue vers moi.
Lui n’avait étudié le cheval que du point de vue des pieds. Il évaluait donc ses parages dans l’idée d’avoir de jolis pieds sains. Mais comme, à l’intérieur, les pieds de ce cheval n’étaient pas sains, il était de toute façon impossible d’avoir de jolis pieds (sauf en trichant).
Pour ma part, je regarde d’abord le cheval dans son ensemble, ce qui me permet de comprendre les déséquilibres des pieds (ou au moins de chercher des pistes dans certains cas un peu plus compliqués). Idéalement, j’aime aussi voir les radios des pieds car cela permet d’être vraiment précis sur ce qu’on va chercher à rééquilibrer, principalement lors des premiers parages. Vous l’aurez compris, mon but n’est pas de faire de jolis parages, mais de réhabiliter les sabots…et le cheval dans son ensemble.
Si au bout de quelques mois votre cheval avait de jolis pieds mais qu’il était toujours aussi boiteux, j’aurais le désagréable sentiment d’être en échec. C’est bien pour cette raison que l’esthétique ne m’intéresse pas. Ce qui m’intéresse, c’est qu’à la fin de chaque parage, le cheval dise merci et qu’il nous montre que, lui aussi, l’esthétique il n’en a que faire !
Les premiers parages
Les premiers parages de ce cheval ont été vraiment compliqués. En effet, j’ai fini par développer des gestes qui me sont un peu personnels. Et lorsque vous avez appris d’une certaine manière, avec une certaine méthode, c’est difficile de passer à toute autre chose. J’enseigne systématiquement ces gestes car ils permettent de supprimer rapidement ce qu’il faut, où il faut, sans en enlever trop, et surtout en gardant votre cheval confortable dans ses pieds. Certains gestes techniques habituels vont très bien sur les chevaux sains, mais ils rendent les fourbus encore plus douloureux suite au parage, d’où mon obsession pour les gestes en question.
Comme je le disais, je ne me suis pas focalisée sur l’esthétique du pied : je me suis focalisée sur ce qu’il fallait supprimer (ou pas) pour réhabiliter le cheval sans pour autant qu’il ne montre de sensibilité après le parage.
A notre plus grande joie, la locomotion du cheval a commencé à vraiment s’améliorer. Mais ce que je ne savais pas, c’est que parallèlement à cela, le premier formateur trouvait que l’évolution des pieds n’était pas bonne. En clair, les parages n’étaient pas « beaux ». Par deux fois lors des premiers mois, il lui a conseillé de trouver un professionnel compétent pour s’occuper de son cheval. Vous imaginez son état de détresse et surtout son sentiment d’échec. Sur le coup bien entendu, lorsqu’elle m’en a parlé, je l’ai aussi un peu pris pour moi et j’ai remis mon travail en question. Mais en prenant un peu de recul, j’avais vraiment le sentiment d’être dans le juste avec ce cheval. Le parage n’était pas parfait ou beau, mais il il était bon.
Et surtout je savais que lorsqu’on pare d’une certaine manière ou avec un certain objectif, toutes les autres méthodes de parages nous paraissent moches ou inadaptées. J’ai d’ailleurs écrit un petit article à ce sujet. J’ai donc rassuré ma cliente en lui donnant mon point de vue : le cheval allait de mieux en mieux, et c’était ça la priorité (bon dans l’idée et dans la forme c’était nettement plus long que ça, mais cette phrase résume bien l’idée).
De plus, je le sais aussi d’expérience, on ne peut pas attendre la perfection tout de suite lorsque non seulement on est en phase d’apprentissage, mais surtout qu’on a un cheval vraiment pathologique avec des pieds déformés. Un pied sain est facile à parer, mais lorsque tous les repères sont faussés, ça complique vraiment les choses.
Le bilan
Au bout de trois mois, l’héroïne de notre histoire a refait faire des radios à son cheval.
Je dis héroïne car, aux yeux de votre cheval, quand vous vous investissez autant pour le sauver, vous êtes un héro, un vrai. A mes yeux aussi. Je suis passée par là et je sais à quel point c’est éprouvant moralement d’avoir la vie et le confort (ou la souffrance) de son cheval entre les mains. Et je sais aussi que quand on aime comme on les aime, on est prêt à se transcender. Je ne me serais jamais crue capable d’aller retirer des morceaux d’os dans le crâne de ma jument, et pourtant j’ai fini par le faire (plusieurs fois !). J’ai même fini par demander un scalpel à ma copine vétérinaire canin car je soupçonnais que le bourgeonnement qui perdurait au milieu de sa cicatrice était dû à un morceau d’os coincé là. J’ai pris mon courage à deux mains, j’ai utilisé mon scalpel et…j’ai effectivement trouvé une minuscule esquille d’os qui empêchait la cicatrisation !
Le bilan disais-je donc ?
Oui je sais je fais durer le suspense !!
Et bien le bilan c’est que notre fourbu ne l’était plus ! Enfin presque : il était en fin de réhabilitation.
A la radio, tout le haut du pied était à nouveau parallèle à P3. C’est ce que vous voyez au niveau des lignes rouges qui sont parfaitement parallèles entre elles.
Quand nous en sommes à ce stade, il n’y a plus qu’a attendre que la repousse complète se termine tout en maintenant en place des parages adéquats.
La ligne jaune quant à elle montre l’ancien angle de pousse : quand toute cette partie aura repoussé et sera évacuée, il n’y aura plus aucun signe de l’ancienne bascule. Cette ligne jaune permet aussi d’évaluer le degré de cette ancienne bascule qui semble avoir été aux alentour des 11°.
En clair, les parages n’étaient pas esthétiquement parfaits, mais leur régularité a permis une réhabilitation de la bascule. Mieux que ça : ces radios ont été réalisées 3 mois après le début de notre travail commun, cela signifie que les pieds ont probablement recommencé à pousser dans le bon sens AVANT ça.
Les pieds se seraient-ils réhabilités sans mon accompagnement ? Possible (mais je ne suis pas devineresse). Ce dont je suis certaine par contre, c’est que le fait de se focaliser sur l’utile et non plus sur l’esthétique a permis au cheval de ne pas souffrir durant sa réhabilitation. Ou plutôt A CAUSE de la réhabilitation mise en place.
Toutes les méthodes permettent-elles de réhabiliter les pieds ?
Honnêtement, je n’en sais rien. Je sais que ma manière de parer fonctionne, je sais que d’autres méthodes fonctionnent aussi bien et pour d’autres méthodes encore, je n’ai pas de retours. Une podologue m’a dit récemment « les pieds fourbus d’améliorent mais ils ne guérissent pas ». Voulait-elle parler de cas graves, lorsque P3 est nécrosée…ou vraiment sa méthode ne permet-elle pas de réhabiliter la fourbure ? Je ne saurais pas le dire. Ce que je peux dire par contre, c’est que quand le parage est adapté, la fourbure guérit. La gestion doit bien entendu être globale pour cela.
Là où j’essaie vraiment de sortir du dogme des méthodes et de ne m’en imposer aucune, c’est que je sais qu’un cheval fourbu peut être réhabilité sans souffrance. Je ne parle pas d’un cheval en crise aiguë bien entendu. Chez ce cheval là, le problème, c’est la fourbure, pas le parage (même si le parage peut être la goutte d’eau…). Non je parle bien d’un fourbu qui est stabilisé. Un propriétaire avec qui j’ai discuté il y a longtemps m’a expliqué qu’un spécialiste du pied nu lui avait dit pour son cheval qui était fortement campé à la suite du parage : « La souffrance c’est le prix de la réhabilitation ». Sauf que ce cheval se déplaçait bien avant le parage et qu’il était prostré juste après. NON, la souffrance ne devrait pas être le prix de la réhabilitation. D’ailleurs elle ne l’est pas : si votre cheval a mal aux pieds, il aura mal partout dans le reste de son corps, c’est aussi simple que ça.
A l’époque, cette phrase m’a fait froid dans le dos.. D’expérience, je peux vous dire une chose : la souffrance est le prix de la réhabilitation…quand on s’attache plus à l’esthétisme et à la méthode qu’à la fonctionnalité du sabot qu’on a entre les mains.
Une propriétaire d’un ancien fourbu m’a contacté un jour car son cheval faisait une crise après chaque parage…parage qu’elle effectuait toutes les 3 semaines. Pour résumer la vie de ce cheval, il était paré, « faisait une crise », marchait sur des oeufs durant 2 semaines, marchait normalement durant une semaine…puis il était paré de nouveau. La propriétaire m’a contacté à l’époque pour se renseigner pour un suivi car elle ne comprenait pas les nombreuses crises de sont cheval. Elle m’a envoyé des photos et effectivement, à première vue, ça pouvait sembler incompréhensible : les pieds étaient parfaits, et surtout, ils étaient réhabilités depuis bien longtemps. Et son parage aussi était parfait. ABSOLUMENT parfait.
Comme je suis absolument nulle comme vendeuse et surtout que je suis quelqu’un d’honnête, je lui ai expliqué qu’elle n’avait pas besoin de moi (mais que bien-sûr j’étais là pour l’aider si ça n’allait pas mieux suite aux quelques conseils que je lui ai formulé ce jour là). En résumé, le problème était…que son parage était TROP parfait. Et que clairement le cheval ne supportait pas ça. Il avait besoin d’un parage plus léger et légèrement différent. Elle avait fait un premier stage qu’elle avait parfaitement mis en application. En quelques mois, les pieds avaient été réhabilités, mais le cheval souffrait encore beaucoup. Alors elle était retournée refaire le même stage pour comprendre ce qu’elle faisait de travers. Or elle ne faisait rien de travers, ses parages étaient parfaits. On lui a dit de continuer de cette manière jusqu’à ce que ça aille mieux. Mais ça n’a jamais été mieux, tout simplement parce que, aussi parfaits qu’ils aient été, ses parages ne convenaient pas au cheval. Suite à cela elle n’a évidemment pas eu besoin d’un accompagnement.
J’aurais pu lui mentir, lui vendre un suivi et passer ensuite pour une sauveuse…mais hélas pour mon compte en banque, je suis un peu trop honnête ! Mais je préfère de loin l’idée d’être une très mauvaise commerciale que celle d’être…disons juste de profiter de la faiblesse des gens à un moment donné.
Pour conclure, un cheval qui allait mieux AVANT qu’après son parage est un cheval pour qui on s’est trompé quelque part. Ça arrive et, fort heureusement, les sabots repoussent. Mais quand ça arrive, reconnaître que ça vient de notre travail permet de ne plus renouveler les mêmes erreurs. Ça ne veut pas dire qu’on est mauvais ou que la technique est mauvaise, ça veut simplement dire qu’il y a quelque chose à faire différemment.
On peut alors choisir de s’offusquer. On peut aussi choisir de mettre son égo un instant de côté pour essayer de trouver ce qu’on peut améliorer.